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Lundi 29 mars 2021

Pièces auto : pourquoi Jean Castex se fait tirer l’oreille par les pros

Mesdames, Messieurs, Chers adhérents, 

Veuillez trouver ci-dessous l'article paru ce jour  dans le Magazine Challenges sur la libéralisation des pièces captives suite à notre campagne de communication.

Pièces auto : pourquoi Jean Castex se fait tirer l’oreille par les pros 

Les professionnels de l’auto demandent au Premier ministre de tenir la promesse de son prédécesseur, et de casser le monopole dont jouissent les constructeurs français sur les pièces de carrosserie. A la clé, une baisse de la facture pour les automobilistes.

Un rétroviseur arraché par un camion qui passe trop près est parfois synonyme de fin de mois difficile, pour ces millions d’automobilistes aux revenus modestes. Ils n’imaginaient pas qu’un miroir, associé à un peu de métal et beaucoup de plastique puisse coûter si cher. Plusieurs centaines d’euros, pour un accessoire qui contient dorénavant un moteur électrique pour le réglage du miroir, un autre pour rabattre l’ensemble contre la carrosserie durant le stationnement, une résistance de chauffage et, parfois, un répétiteur de feu de direction.  

Le plus rageant est que le même rétroviseur, portant les mêmes estampilles du constructeur et des normes européennes de sécurité, se trouve sensiblement moins cher, de l'autre côté la frontière allemande ou espagnole. Une différence qui s’explique par le fait que les constructeurs français qui détiennent les droits de propriété intellectuelle sur toutes les pièces dites d’apparence (phares, rétroviseur, tôlerie, vitrage) bénéficient en France d’un monopole sur leur vente. 

En France, on ne peut pas vendre de pièces de carrosserie génériques : il faut s’approvisionner chez les constructeurs

"Une enquête de Médiapart a révélé l’existence d’une entente entre les constructeurs sur les prix des pièces détachées : sur 3 ans, l’augmentation moyenne dépasse les 11 %”, souligne Mathieu Séguran, délégué général de la FEDA (Fédération de

la Distribution automobile), qui fait paraître dans l’édition du 16 mars du quotidien Le Figaro une pleine page pour demander au Premier Ministre de tenir la promesse faite par son prédécesseur, Édouard Philippe, et de libéraliser le marché de la pièce détachée.

“Les constructeurs français sont ceux qui pratiquent les hausses les plus élevées en Europe”, dénonce la FEDA dans un communiqué pour expliquer sa campagne de presse. “Elles ont été de 11 % en 2019 et 7 % en 2020 pour PSA (plus forte hausse tous constructeurs confondus), de 13 % en 2019 et de 2 % en 2020 pour Renault ; et de 8 % en 2019 et 7 % en 2020 pour Citroën et DS.” 

Selon l’étude publiée en janvier par la Sécurité et réparation automobile (SRA), l'organisme de référence pour établir les assureurs, le coût de réparation de la carrosserie a bondi de 6,7 % rien que l'an dernier — et de près de 8 % sur cinq ans, soit près de trois fois l'inflation. La fédération européenne des assureurs a constaté qu’une même pièce se vend 20 % à 25 % plus cher en France qu’en Allemagne, ou que partout ailleurs en Europe.  

Un pare-chocs vendu 300 euros en France vaut trois fois moins cher en Allemagne ou en Espagne

Selon la FEDA, casser le monopole des constructeurs sur les pièces permettrait aux automobilistes français d’économiser environ 17,5 % sur leur facture chez le carrossier. Pour la simple raison que les distributeurs indépendants, tout comme les réparateurs (carrossiers ou pros du vitrage) seraient enfin libres de s’approvisionner à l’étranger, là où la concurrence est libre.

La société Aniel compte parmi les plus importants distributeurs indépendants, en France. “Non seulement les pièces sont trop chères, mais leur prix augmente sans raison apparente”, dénonce son président, Vincent Belhandouz. “Comment justifier l’augmentation du prix d’un bouclier, dont le dessin n’a pas évolué en 2020, et qui n’est qu’un simple habillage de plastique peint ? Comment l’expliquer autrement qu’en soupçonnant les constructeurs d’encaisser le maximum, avant une libéralisation qu’ils considèrent comme inévitable ?” 

Pièces captives : une exception française

Mais d’où vient ce monopole sur les pièces de carrosserie ? Il faut remonter à 1998, lorsque le parlement européen votait une directive 98/71 dite “Eurodesign”. Son article 14 laissait le choix aux États-membres d’introduire ou pas dans leur législation nationale le droit pour le consommateur de préférer à la pièce de carrosserie d’origine, vendue par le constructeur du véhicule une pièce de qualité équivalente, bien souvent moins chère.

Quand tous ses voisins choisissaient d’offrir au consommateur la liberté de faire jouer la concurrence, la France rejetait la clause de réparation ouverte par l’article 14. Et ce, malgré les rapports de l’Autorité de la Concurrence qui concluaient que le monopole des constructeurs sur la vente des pièces de carrosserie constituait une entrave à la libre concurrence.

Assureurs, réparateurs, distributeurs et consommateurs réclament à l’unisson la fin du monopole des constructeurs

“Quand les constructeurs augmentent le prix de leurs pièces, les marges des revendeurs et des réparateurs baissent”, dénonce Vincent Belhandouz, qui milite de longue date pour la pièce de qualité équivalente à celle d’origine. “Jugez du paradoxe. En France, le monopole contraint le carrossier à s’approvisionner en pièces d’origine auprès des constructeurs. Alors que le mécanicien qui rénove des freins est libre de préférer des pièces de qualité équivalente, à peu près trois fois moins chères mais tout aussi sûres, car répondant aux mêmes exigences de qualité”, s’indique Vincent Belhandouz.  

Surtout, ces pièces sortent généralement des mêmes usines, gérées par les fournisseurs des grands constructeurs. “Aujourd’hui en France, chez les réparateurs comme chez les consommateurs, plus personne ne doute de la qualité des plaquettes de frein génériques. Alors que l’on doute encore de la qualité d’un pare-chocs ou d’un rétroviseur de qualité équivalente”, déplore V. Belhandouz. En Allemagne, personne ne dénonce un quelconque problème de qualité. Alors qu’en France, le monopole des constructeurs a instauré chez nous des craintes et des réflexes dont il sera difficile de se départir. 

Paradoxe. La pièce de réemploi est favorisée en France, pas la pièce neuve de qualité équivalente

“Le montant de la facture peut être modéré, depuis qu’il est fait obligation aux réparateurs de proposer à leur clients le recours à la pièce issue de l’économie circulaire”, rappelle Christophe Theuil, président délégué de l’Alliance nationale des Experts en Automobile (ANEA). “Toutefois la pièce de réemploi n’est pas toujours disponible. Le réparateur est alors contraint de s’approvisionner en neuf auprès du constructeur. Et là, forcément, cela coûte plus cher. Ironie, nos experts sur le terrain nous rapportent que les constructeurs concèdent parfois des remises, histoire de sauver un véhicule menacé d’être classé comme économiquement irréparable. C’est une manière d’admettre que leurs tarifs sont trop élevés.” 

Les assureurs sont demandeurs de la libéralisation du marché des pièces de carrosserie, une réforme qu’ils jugent urgente. “L’impact du prix des pièces sur le montant de la prime d’assurance est direct”, rappelle Alexis Merkling, de la Fédération française de l’Assurance (FFA), qui estime que 415 millions d'euros pourraient être économisés sur les primes, si le monopole venait à tomber.  

“Les constructeurs français auraient intérêt à écouter les remontées des assureurs sur le coût de leurs pièces : diminuer leur prix de vente servirait à diminuer la prime d’assurance, un critère pris en compte par les gestionnaires de flottes lorsqu’ils commandent plusieurs dizaines ou centaines de véhicules. Avoir des pièces moins chères limiterait aussi la dépréciation du véhicule en cas de sinistre, ce qui retarderait le moment où ils sont déclarés économiquement irréparables. Tout le monde y gagnerait.” 

Le monopole des constructeurs français est une exception en Europe

En réponse aux arguments des réparateurs, des distributeurs, des assureurs et des consommateurs, les constructeurs s’abritent derrière le coût de l’innovation, du stockage et du transport pour justifier le prix de leurs pièces et leur monopole sur leur distribution. Les constructeurs rappellent par ailleurs que les pièces de carrosserie destinées à la rechange ne peuvent être facturées au même prix que celles qu’ils emploient sur la chaîne d’assemblage du véhicule, du simple fait du coût de leur conditionnement, de leur transport et de leur stockage. 

De là à justifier des prix de vente de la pièce certifiée d’origine constructeur cinq à dix fois supérieurs à ceux de la pièce dite adaptable disponible dans les pays frontaliers ? Les associations de consommateurs en doutent. De son côté, l’autorité de la concurrence s’était alarmée de la folle hausse des tarifs des pièces en France, et ce, dès 2012. En vain. 

Libéralisation des pièces de carrosserie : un projet retoqué par deux fois par le Conseil constitutionnel

En mai 2019, un amendement à la loi d’orientation des mobilités avait proposé de ramener de vingt-cinq ans à dix ans la durée de protection des pièces captives. Las ! En décembre 2019, le Conseil constitutionnel mettait son veto au dispositif de libéralisation, en estimant qu’il relevait du “cavalier législatif”. Autrement dit, que son objectif était trop éloigné du sujet traité par le reste de la loi examinée. En décembre dernier, la même sentence condamnait la seconde tentative lancée par le biais, cette fois, de la loi d’accélération et de simplification de l’action publique, dite ASAP. 

Aux dernières nouvelles, le député LREM Damien Pichereau travaillerait à la rédaction d’une proposition de loi qui associerait l'ouverture à la concurrence des pièces de carrosserie à deux autres causes : la lutte contre la non-assurance automobile et contre l’usurpation de numéro d'immatriculation, qui vaut aux victimes une accumulation de procès-verbaux pour des infractions qu’elles n’ont pas commises.

 

 

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